Eh oui, nous revoici aux prises avec ces misérables rubans roses, lesquels constituent sûrement la meilleure campagne publicitaire jamais orchestrée.

Ils sont pernicieux. Ils nous touchent et nous font l’effet de participer à quelque chose de grand par le simple fait de les porter ou d’acheter un produit qui en est affublé.

Mais au fond, que disent‑ils? Rien, à part qu’il y a toujours des milliers de femmes atteintes du cancer du sein chaque année. C’est là le véritable problème. Il y a tant de choses à dire qui sont étouffées dans le brouhaha entourant ces rubans roses.

De quoi devrions-nous plutôt parler?

1. Il faudrait d’abord expliquer que le dépistage, ce n’est pas de la prévention. Comment se fait‑il que la réduction du taux d’incidence soit disparue complètement de toutes les discussions importantes autour du cancer du sein? On répète aux femmes qu’elles doivent diminuer leurs risques individuellement sans leur offrir de stratégie de santé publique adéquate qui réduirait l’incidence du cancer du sein au moyen d’un programme solide fondé sur la santé environnementale. Et en prévenant le cancer du sein, on préviendrait aussi beaucoup d’autres maladies.

2. Il faudrait dire que l’incidence du cancer du sein est directement associée aux perturbateurs hormonaux (ou perturbateurs endocriniens), omniprésents et pas du tout réglementés. Nous avons actuellement la chance de prendre le contrôle de ces substances chimiques destructrices en réformant adéquatement la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Le Comité permanent de l'environnement et du développement durable a rédigé un excellent rapport sur la réforme prochaine de cette Loi. Nous avons la feuille de route, manque juste la volonté politique de faire avancer le dossier dans la bonne direction. Il faudrait rappeler aussi qu’il est immoral pour le gouvernement fédéral de ne rien faire à ce sujet alors que les conséquences sur la santé des citoyennes et des citoyens sont si néfastes.

3. Il faudrait révéler que bon nombre des produits de consommation affublé du fameux ruban rose contiennent des perturbateurs hormonaux œstrogéniques comme les phtalates, les parabènes et le triclosan, particulièrement présents dans le maquillage et les parfums.

4. Il faudrait dire que nous avons besoin de recherches sur la prévention et sur les moyens d’arrêter le développement de la maladie, pas que sur les traitements. Les traitements sont essentiels et nous saluons leur élaboration, mais ils ont pris toute la place et relégué la prévention aux oubliettes. Un éminent chercheur sur les perturbateurs hormonaux nous a décrit à quel point il lui était difficile d’obtenir du financement pour ses travaux. Menant à une foule de mauvaises nouvelles et sans possibilités de dégager des profits, les recherches sur la prévention n’en demeurent pas moins essentielles pour changer le cours de cette maladie.

5. Il faudrait dire que le surdiagnostic et le surtraitement du cancer du sein constituent des problèmes graves et que les programmes de dépistage par mammographie causent du tort à bien des femmes. Notre approche en matière de dépistage du cancer du sein devrait être entièrement repensée afin de cibler les populations à risque, plutôt que la population en général. Notre approche pour ce qui est de l’utilisation de bon nombre de traitements devrait aussi être désamorcée. Leur efficacité en serait sans doute augmentée, et le fardeau du surtraitement pèserait moins lourd sur les épaules de notre système de santé.

6. Il faudrait rappeler que quiconque a des seins peut souffrir du cancer du sein. Cette campagne publicitaire enlisée dans le rose cible bien mal les nombreuses personnes qui n’entrent pas dans le moule féminin. Les hommes atteints du cancer du sein se sentent souvent  très mal à l’aise d’être aux prises avec une maladie « de femme », sans compter que puisque les campagnes d’autoexamen des seins ne s’adressent pas à eux, ils n’ont pas su reconnaître les signes de la maladie. Les personnes qui ne se conforment pas aux stéréotypes attendus des genres se sentent également mal à l’aise de souffrir d’une maladie qu’on associe sur la place publique à un univers typiquement féminin.

7. Il faudrait dire enfin que les femmes ont le droit de ressentir de la colère. Non, nous ne réduirons pas l’incidence du cancer du sein en magasinant, ni en collectionnant les petits rubans. Cependant, nous pouvons influer sur le cours de cette maladie et sur la vie d’un grand nombre de femmes aussi. Pour cela, nous devons d’abord nous battre et mettre un terme à cette histoire de ruban rose.