1) Dernièrement, les medias ont beaucoup parlé de perturbateurs endocriniens ou de produits chimiques perturbateurs endocriniens. De quoi parle-t-on exactement ?
Les produits chimiques perturbateurs endocriniens sont, pour la plupart, des produits chimiques synthétiques qui, lorsque le corps les absorbe, peuvent interférer avec le système endocrinien du corps. Ce système est composé de glandes qui sécrètent des hormones et régule les fonctions vitales du corps telles que la croissance, le stress, le développement et le comportement sexuel, la vitesse du métabolisme, l’intelligence et le comportement. Ces perturbateurs endocriniens peuvent donc affecter le développement de l’individu, sa croissance et son équilibre hormonal en bloquant ou perturbant les hormones naturelles du corps ou en les imitant.

2) Où trouve-t-on des perturbateurs endocriniens ?
On en trouve dans les produits cosmétiques, les  produits de nettoyage, les jouets, les contenants de stockage alimentaires, les meubles et les moquettes, les ordinateurs, les téléphones et les appareils électroménagers. Ils existent également sous forme de plastiques ou de résines de synthèse dans les voitures, les camions, les avions, les trains, les articles de sport, les équipements extérieurs, l’équipement médical, les mastics dentaires et des produits pharmaceutiques. La plupart des produits de soin personnel (crèmes, shampooings et cosmétiques) contiennent un parfum qui, lui-même, contient des perturbateurs endocriniens comme les phtalates, des plastifiants. Ceux-ci sont présents non seulement dans les parfums, produits hydratants, vernis à ongles et laques pour cheveux, mais également dans les peintures, les carrelages et les jouets sexuels.

3) Pourquoi les perturbateurs endocriniens sont-ils si mauvais pour les humains ?
Notre santé dépend du bon fonctionnement du système endocrinien qui régule l’émission de certaines hormones, essentielles au métabolisme comme la croissance et le développement, le sommeil et l’humeur. Les produits chimiques, présents dans les produits de soin personnel et les processus industriels, et utilisés quotidiennement, peuvent affecter cet équilibre et ce bon fonctionnement. Ces agents chimiques imitent, bloquent ou perturbent les hormones naturelles du corps. Les chercheurs ont trouvé un lien entre ces perturbateurs et les cancers du sein et de la prostate, les modifications des fonctions du système immunitaire, l’obésité, une ménopause précoce, ainsi qu’une puberté précoce chez les filles et les testicules non descendus chez les garçons.
Un exemple très simple : les filles du DES (diéthylstilbestrol). Dans les années 50, on prescrivait aux femmes enceintes du diethylstilbestrol (DES), une puissante hormone de synthèse, pour prévenir les fausses couches. Non seulement cela n’a rien changé en ce qui a trait aux fausses couches mais dès les années 70, les médecins ont constaté des taux élevés de cancer du col de l’utérus chez des adolescentes. Des recherches ont permis de faire le lien avec les mères ayant prit du DES, ces jeunes filles présentaient également d’autres problèmes de santé tels que des anomalies congénitales et la suppression du système immunitaire.

4) Comment les perturbateurs endocriniens sont-ils liés au cancer du sein ?
Les produits chimiques perturbateurs endocriniens ont une influence indirecte sur le cancer du sein; ils modifient l’équilibre des hormones naturelles du corps. Certain cancers, dont le cancer du sein, sont sensibles aux changements hormonaux.
Deux décennies de recherche montrent que les phtalates, un des perturbateurs les plus courants, dérèglent le système hormonal et peuvent être une cause de cancer du sein. (1). Il est également prouvé qu’ils participent à la prolifération des cellules cancéreuses au niveau des seins, et qu’ils diminuent l’efficacité des traitements anti-œstrogènes comme le tamoxifène, traitement contre les tumeurs. (2) Les parabènes sont des imitateurs d’œstrogènes (3), ils perturbent le fragile équilibre endocrinien du corps.  En 2004, ont a trouvé des concentrations de parabènes dans des échantillons de biopsie de tumeurs du sein. (4) Une étude similaire, (5) menée en 2012 en Angleterre sur 40 mastectomies a, là encore, mis en évidence des concentrations de parabènes. On suspecte également le triclosan d’être un perturbateur hormonal. (6)

5) En Amérique du Nord et en Europe, on porte une grande attention aux perturbateurs endocriniens. Quelle est la politique au Canada concernant la réglementation de ces agents chimiques ou leur restriction d’utilisation? En quoi notre politique diffère-t-elle de celle de l’Europe, par exemple?
En Europe, plusieurs mesures législatives ont été prises pour limiter l’utilisation des produits chimiques extrêmement préoccupants. Depuis 2007, la législation horizontale et élargie REACH donne un nouveau cadre pour réglementer et restreindre l’utilisation des substances les plus dangereuses. (REACH regulation =règlement sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques.) Une législation sectorielle limite également l’utilisation des produits chimiques dangereux dans les jouets, les cosmétiques et les produits électroniques, par exemple.
Le REACH a pour but de faire porter à l’industrie la responsabilité d’évaluer et de gérer les risques en collectant et fournissant des données nécessaires pour prouver l’innocuité de ces produits chimiques. Il existe également un débat européen permanent portant sur les critères permettant de reconnaître un produit chimique comme perturbateur endocrinien. En ce qui concerne la législation sur les pesticides, la Commission européenne présentera, vers la fin 2013, les critères pour déterminer les propriétés de perturbation endocrinienne.
En 2008, le Canada a été le premier pays à interdire les biberons en plastique contenant du bisphénol A, après avoir reconnu la toxicité de ce produit chimique. Alors qu’on applaudissait cette décision, aucune norme réglementaire ne tenait compte du fait qu’un produit chimique puisse imiter une hormone comme l’œstrogène. La conséquence la plus remarquable de cette décision est de déterminer si une substance peut causer le cancer et à quels niveaux d’exposition. À l’heure actuelle, c’est la norme, alors qu’il peut y avoir d’autres risques pour la santé comme des lésions pulmonaires. Selon les normes actuelles, on ne sait pas si une substance imite une hormone ou non.
Au Canada, selon la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), le Plan de gestion des produits chimiques n’inclut pas une analyse des sexes ni ne fait référence aux perturbateurs endocriniens en tant que catégorie distincte de produits chimiques; pas plus que ne le fait l’étiquetage des produits de consommation courante régit par la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation (antérieurement la Loi sur les produits dangereux) de Santé Canada . Et malheureusement, au Canada, nous n’avons pas encore demandé aux compagnies d’endosser la responsabilité de prouver l’innocuité de leurs produits.

1. Jobling S, Reynolds T, White R, Parker MG, Sumpter JP (1995). A variety of environmentally persistent chemicals, including some phthalate plasticizers, are weakly estrogenic. Environmental Health Perspectives 103(6):582-7.

2. Kim IY, Han SY, Moon A (2004). Phthalates inhibit tamoxifen-induced apoptosis in MCF-7 human breast cancer cells. Journal of Toxicology and Environmental Health 67: 2025-2035.

3. Darbre, P. D., & Harvey, P. W. (2008). Paraben esters: review of recent studies of endocrine toxicity, absorption, esterase, and discussion of possible health risks. J Appl Toxicol, 28, 561–578.

4. Darbre, P., Aljarrah, A., & Miller, W. (2004). Concentrations of parabens in human breast tumours. J Appl Toxicol, 24, 5–13.

5.  L. Barr, G. Metaxas, C. A. J. Harbach, L. A. Savoy and P. D. Darbre (2012) Measurement of paraben concentrations in human breast tissue at serial locations across the breast from axilla to sternum (pages 219–232)

6. Gee, RH et al. (Jan 2008): "Oestrogenic and androgenic activity of triclosan in breast cancer cells." Appl Toxicol.28, 1,78-91.