Si vous croyez que les effets néfastes de l'environnement affectent tout le monde également, parlez-en à ces femmes

Par Dre Jane E. McArthur et Jennifer Beeman

Cet éditorial a initialement été publié dans The Hill Times. Il est reproduit et traduit ici avec permission.

Bien que le passage du temps au cours de l'année écoulée nous ait parfois donné l’impression d’une horloge arrêtée, les circonstances de la COVID-19 nous ont également fourni une leçon d'histoire tombant à point et une occasion de façonner le futur.

La COVID-19 a mis en évidence le lien étroit entre les environnements et la santé, en nous montrant comment les actions individuelles ne peuvent pas remédier à toutes les conditions autour de nous. La pandémie a également révélé les effets des politiques gouvernementales sur la santé, et le fait que certaines populations subissent des conséquences sanitaires néfastes beaucoup plus importantes. Les personnes âgées, les personnes Noires, racisées et autochtones, les travailleuses et travailleurs et les enfants sont touchés par la pandémie de manière disproportionnée, ce qui démontre que la santé est liée à nos conditions de vie et de travail.

En 1999, le Parlement adoptait la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE), une loi réglementant les questions environnementales essentielles directement liées à la santé. Un examen parlementaire de 2017 a produit 87 recommandations afin de renforcer la Loi. Enfin, cette semaine, nous avons salué l’introduction d’un projet de loi visant à moderniser la LCPE, et qui pourra commencer à aborder la question des dynamiques de genre reliées à l’exposition aux substances toxiques.

Pour des raisons biologiques et socio-économiques, la santé des femmes, des enfants et des personnes racisées est particulièrement vulnérable aux effets néfastes de l’environnement. Le cancer du sein est un exemple de la manière dont ces incidences différentes se manifestent.

Le discours à propos du cancer du sein met typiquement l’accent sur les individus et leur comportement comme facteur de risque. Ce cadre ignore les femmes dans les contextes de leur foyer, de leur travail, dans leurs communautés, dans les institutions et les sociétés où ce risque est porté, ce qui décontextualise et dépolitise le problème.

Au pont Ambassador de la ville de Windsor en Ontario, les femmes reçoivent un diagnostic de cancer du sein à un taux au moins 16 fois plus élevé que les autres résidentes. Le pont est situé dans un courant aérien industriel. Il s'agit du passage frontalier le plus fréquenté en Amérique du Nord, où traversent chaque jour plus de 20 000 camions diesel et autres véhicules. L'environnement présente des niveaux élevés de pollution atmosphérique et d’exposition à des agents cancérigènes mammaires connus.

Jane McArthur de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement a récemment complété sa recherche auprès de travailleuses du pont. La production « juste à temps » et l’augmentation de la circulation de camions augmentent l'exposition aux agents cancérigènes connus et suspectés. Les femmes ont décrit qu’elles se sentent impuissantes à contrôler leurs expositions associées au développement du cancer du sein, notamment à la pollution de l’air, aux gaz d'échappement des moteurs diesel, aux radiations et aux produits chimiques. Le fait que ces femmes soient au courant de leur exposition souligne la nécessité de se doter d’une protection législative et réglementaire plus robuste et à jour.

Action cancer du sein du Québec sensibilise les femmes sur les produits chimiques toxiques que l'on trouve dans les articles que des femmes manipulent tous les jours, et qui sont liés à l’accroissement du risque de cancer du sein. Récemment, une attention particulière a été accordée au BPA et au BPS présents dans le papier thermique utilisé pour les reçus. Des recherches illustrent que les niveaux de BPA dans l'organisme des caissières doublent entre le début et la fin de leur période de travail. Selon la Endocrine Society, les recherches démontrent que le BPA peut contribuer à la progression des cellules du cancer du sein et à la diminution de l'efficacité des traitements médicamenteux contre ce cancer. Le BPS, un substitut du BPE couramment utilisé, augmente potentiellement l'agressivité du cancer du sein. Des centaines de milliers de caissières manipulent ces papiers en continu durant leurs périodes de travail.

Les effets synergiques des produits chimiques ne font qu’aggraver la situation. Les désinfectants pour les mains contiennent des ingrédients qui dissolvent le BPA. Cet effet facilite la pénétration du produit dans la peau, et rend celle-ci encore plus absorbante. La recherche démontre que l’utilisation d’un désinfectant pour les mains contenant des produits chimiques favorisant la pénétration cutanée tout en manipulant du papier thermique à reçus revêtu de BPA augmente considérablement la présence de BPA dans l’organisme, en particulier chez les femmes. La perméabilité de la peau des femmes pourrait permettre un transport transdermique plus important que celui des hommes.

Au Canada, l’exposition environnementale des femmes au pont Ambassador, des plus de 400,000 caissières et 750,000 vendeuses en commerce de détail manipulant des reçus enrobés de BPA et de BPS tout en utilisant un désinfectant pour les mains entre chaque client illustre le fait que d’adopter une approche basée sur les choix individuels est insuffisant pour protéger la santé. Prévenir le risque de cancer du sein en faisant seulement des choix de vie ne tient pas compte du fait que nous n’avons pas tous accès aux mêmes choix.

Les femmes travaillant au Pont et les caissières du Canada sont souvent issues de populations subissant de multiples formes d’oppression. Les mesures de protection et de prévention inadéquates contre les substances toxiques sont des problèmes de santé et de justice environnementale.

En 2019, le gouvernement actuel a promis de moderniser la LCPE, et l’introduction d’un projet de loi pour donner suite à cette promesse est bienvenue. Une optique féministe en santé environnementale illustre que les expositions d’aujourd’hui ont un impact disproportionné sur les femmes et d’autres populations rendues vulnérables par les environnements sociaux. Une modernisation de la LCPE adaptée aux réalités actuelles doit être prioritaire.

Il est maintenant essentiel que le projet de loi pour la réforme de la LCPE reconnaisse le droit à un environnement sain, défende les populations rendues vulnérables, reconnaisse les évidences actuelles concernant les risques pour la santé reliés aux substances chimiques et aux autres expositions, qu’il reconnaisse également les inégalités de genre et les inégalités raciales des expositions, et qu’il applique le principe de précaution.

Nous ne pouvons pas nous permettre un échec de ce test historique en ignorant la leçon de la connexion entre les environnements et la santé. Le contrôle des substances toxiques et la protection du droit à un environnement sain sont des besoins urgents d'aujourd'hui et pour l'avenir.

Jennifer Beeman est directrice générale chez Action cancer du sein du Québec (ACSQ), et Dre Jane E. McArthur est directrice de la Campagne contre les toxiques à l'Association canadienne des médecins pour l'environnement (ACME).