Nancy Riopel

PARTIE 4

J’ai peine à croire qu’il s’agit déjà de mon dernier billet sur ce blogue. Il me semble qu’encore hier, j’acceptais de déterminer ce que j’allais dévoiler ici et j’espérais que mon auditoire profiterait de la lecture de mon expérience. J’ai tellement de choses à vous partager encore. J’ai aussi tant à apprendre au fil de ce parcours qui est loin d’être terminé pour moi.

Je vous ai fait vivre le processus de réception d’un diagnostic et des recommandations qui l’accompagne. Je vous ai fait entrer dans le bureau d’un chirurgien, d’une équipe d’oncologues et d’un radio-oncologue, qui ne m’accompagneront pas pour le reste du voyage. Mais où se dirige donc et que fait donc la patiente qui élimine ces acteurs courants dans le traitement d’un cancer? Au départ, j’ai cherché des médecins qui étaient au fait des dernières avancées de la recherche, qui avaient déjà suivi des patientes atteintes de CCIS sur de longues périodes et qui sauraient ce qu’il faut surveiller et à quelle fréquence. J’avais prévu d’en apprendre davantage sur le cancer du sein invasif et de trouver un médecin en qui j’aurais confiance si mon pire cauchemar se concrétisait.

Cependant, plus je cherchais et moins je trouvais. Aucun médecin ne semblait prêt à recommander la surveillance active comme option de traitement du CCIS. J’étais rendue au bout du rouleau lorsque j’ai rencontré un médecin qui m’a enfin aidé à comprendre l’obstacle devant lequel je me trouvais. Elle m’a expliqué que bien qu’elle comprenne très bien ce que je cherchais, je ne trouverais probablement pas de chirurgiens ayant beaucoup d’expérience dans le report d’un traitement de routine. Elle m’a aussi expliqué que si je refusais la chirurgie, la radiothérapie et la thérapie hormonale et que j’acceptais qu’elle note à mon dossier tout ce à quoi je RENONÇAIS ou le fait je refusais le traitement que l’on me recommandait, elle accepterait de me prendre comme patiente.   

D’une part, j’étais ravie que l’on m’explique enfin pourquoi j’étais incapable de trouver un médecin qui ne recommandait pas la chirurgie, d’autre part, j’étais révoltée par le fait qu’il s’agissait au bout du compte d’éviter une poursuite. J’étais choquée de penser qu’on m’avait poussée à subir une mastectomie non pas pour m’éviter le risque d’être atteinte plus tard d’un cancer du sein invasif, mais plutôt pour s’assurer que le cas échéant, je ne poursuivrais pas l’équipe médicale pour avoir omis de me donner les traitements les plus agressifs possible. C’est donc dire que notre système, celui auquel on nous a appris à faire confiance aveuglément repose sur le postulat qu’un médecin ne peut ne serait-ce que mentionner à une patiente que le traitement de routine (ou une option de traitement) n’est peut-être pas nécessaire dans son cas sans s’exposer à des poursuites pour négligence professionnelle. Rien de surprenant à ce que les médecins aient exercé autant de pressions pour me convaincre que la mastectomie était la seule option pour moi et que je me mettais en danger en allant à l’encontre de leurs recommandations explicites. 

Ce que j’aimerais partager avec vous dans ce dernier billet, c’est le fait que depuis que j’ai reçu mon diagnostic, j’ai fait la rencontre de deux camps de femmes : celles qui ont cru les médecins et qui se sont laissées aller à la peur qui submerge la plupart des femmes recevant un diagnostic de CCIS et celles qui se rebellent et luttent pour trouver la paix et l’acceptation dans leur cœur, mais aussi au sein de leur famille et de la société en général. Au cas où vous en doutiez encore, je vous annonce que je me situe dans ce deuxième camp. Heureusement, j’ai réussi à descendre du train fou avant qu’il ne quitte la gare, mais je rencontre régulièrement beaucoup de femmes qui tentent de m’y faire remonter.

Peu après avoir reçu mon diagnostic, j’ai cherché un groupe Facebook sur le CCIS. Habituellement, je ne suis pas très présente sur Facebook ni sur aucun média social et je ne cherchais vraiment pas à trouver un groupe de personnes sans expertise qui me présenteraient une approche « démystifiée » de la médecine. Cependant, j’avais besoin de parler à quelqu’un qui savait ce que je vivais et, plus important encore, quelqu’un qui optait ou avait opté pour l’approche de surveillance active dans le traitement d’un CCIS. Le premier groupe que j’ai rejoint était plutôt grand : il comptait plus de 3 000 membres. Je dois avouer qu’au cours des premières semaines, je n’y ai pas consacré beaucoup de temps et j’ai limité ce que j’y lisais. Ce n’est qu’à partir de la troisième semaine que je me suis décidée à publier quelque chose. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre parce que toutes les publications parlaient de chirurgie, de médication, et de femmes qui souhaitaient commencer leurs traitements aussi rapidement que possible. C’était tout à l’opposé de ce que moi, j’envisageais. Je voulais ralentir le rythme, apprendre et simplement surveiller et attendre de voir ce qui se passerait dans mon corps. Cette publication a été ma première tentative pour obtenir du soutien :

Nancy Riopel. Bonjour à tous, je fais partie du groupe depuis 3 semaines. C’est ma première publication. Je me sens très seule. Est-ce que quelqu’un parmi vous a reçu son diagnostic à la suite de l’examen pathologique de tissus retirés dans le cadre d’une réduction mammaire? Jusqu’ici, on m’a dit qu’étant donné que j’avais reçu mon diagnostic de cette façon, je n’avais pas les mêmes options qu’une femme dont le CCIS aurait été découvert par mammographie ou en palpant une masse. J’aimerais bien parler à quelqu’un qui se trouve dans le même bateau que moi.

Je n’ai reçu que cinq réponses. Une femme m’a indiqué son intention de m’inclure dans ses prières, deux m’ont dit qu’elles avaient subi une réduction mammaire dans le cadre de la tumorectomie prescrite pour retirer le CCIS (après avoir reçu le diagnostic, donc), une femme m’a demandé pourquoi je m’opposais à la mastectomie et une dernière m’a répondu en m’indiquant qu’elle se trouvait dans sa voiture, au retour d’une mastectomie subie pour retirer un CCIS découvert dans les tissus qui lui ont été prélevés lors d’une réduction mammaire plus tôt cette année. J’ai eu mal au cœur, je me suis demandé si elle aurait pris une autre décision si nous avions pu en parler la semaine précédente.

Quatre jours plus tard, j’ai rassemblé tout mon courage et j’ai fait la publication suivante : 

Je sais que je fais probablement partie d’une minorité, mais j’aimerais tout de même publier cela ici dans l’espoir de pouvoir trouver au moins une personne comme moi. Y a-t-il quelqu’un dans ce groupe qui a opté pour la surveillance active plutôt que pour la chirurgie? Certains croient que je suis folle — et je le suis peut-être — mais j’ai l’impression que c’est ce qui est le mieux pour moi et j’aimerais parler avec une personne qui envisage peut-être cette option. Manifestez-vous si jamais je ne suis pas seule dans mon cas.

Cette fois, 25 membres du groupe m’ont répondu. Les réponses étaient variées; seulement quatre personnes m’ont indiqué qu’elles avaient opté pour la surveillance active sur un groupe de plus de 3 000 personnes abordant chaque jour la mastectomie, la tumorectomie, les questions et complications associées à la chirurgie, la médication. Je me sentais toujours très seule.

Au cours des semaines qui ont suivi, comme j’en apprenais toujours davantage au sujet de la surveillance active, j’ai tenté de partager mes découvertes au groupe. J’ai publié quelques études bien réalisées et j’ai prié celles qui n’avaient pas encore choisi leur traitement de tenir compte du fait que des essais cliniques importants suggéraient que la surveillance active allait devenir la nouvelle norme. Les réactions à mes publications m’ont beaucoup étonnée. Bon nombre de femmes m’ont vertement réprimandée pour avoir publié ces articles scientifiques et m’ont fait savoir qu’elles avaient l’impression qu’elles seraient déjà mortes si elles n’avaient pas choisi le traitement agressif de routine qu’on leur proposait. Certaines m’ont confié avoir vu des femmes mourir du cancer du sein et ont dénigré du coup les chercheurs, les médecins et les membres du groupe faisant la promotion de la surveillance active comme une option de traitement du CCIS. 

À l’heure actuelle, j’en suis encore à considérer l’ensemble des options qui s’offrent à moi. Je ne suis pas encore convaincue que je gagnerais à inclure un chirurgien dans ma surveillance active puisque mon médecin de famille a accepté de me prescrire les examens que je choisirais selon les recommandations que je trouverais dans mes recherches.

En conclusion, j’aimerais vous remercier d’avoir partagé mon histoire. Je vous souhaite bien du bonheur et j’espère que ni vous ni personne de votre connaissance n’aurez à subir des pressions pour accepter un traitement qui ne semble pas justifié. Lisez, renseignez-vous, informez-vous encore et encore, puis posez des questions jusqu’à ce que vous ayez l’impression de bien comprendre. Enfin, laissez-vous guider par votre cœur et votre instinct pour décider ce qui est bon pour vous.