Les concepts de « surdiagnostic » et de « surtraitement » ne sont pas nécessairement faciles à comprendre lorsque nous pensons au cancer du sein. L’approche dominante pour « sensibiliser » les femmes à l’égard du cancer du sein consiste à répéter l’idée que la détection précoce sauve des vies. Malheureusement, la réalité est beaucoup plus complexe et dans beaucoup de cas, la détection précoce mène au surdiagnostic et au surtraitement, particulièrement en ce qui concerne le carcinome canalaire in situ (CCIS).
Qu’est-ce que le surdiagnostic du cancer du sein exactement?
Le surdiagnostic est le diagnostic d’une tumeur qui n’aurait pas été cliniquement apparente en l’absence de dépistage. Le traitement d’une tumeur surdiagnostiquée ne peut pas être considéré comme étant bénéfique. Le surdiagnostic et le surtraitement sont maintenant largement reconnus comme une pratique médicale nuisible, dont le dépistage ferait partie.[1] Dans le cas du cancer du sein par exemple, le CCIS était rarement diagnostiqué avant la mise en place d’un dépistage systématique.[2] Malgré tout, des dizaines de milliers de femmes en Amérique du Nord qui seront diagnostiquées avec un CCIS devront subir un traitement agressif, souvent une mastectomie partielle ou totale suivie d’une radiothérapie et parfois d’une hormonothérapie.
Il n’y a jusqu’à maintenant aucune estimation définitive sur l’ampleur du phénomène que sont le surdiagnostic et le surtraitement, car les chiffres fournis par la littérature scientifique offrent un éventail relativement large.[3] Il y a toutefois un accord général comme quoi le CCIS serait particulièrement susceptible d’être surdiagnostiqué.
Un nouveau paradigme sur la complexité des cancers
Le cancer du sein n’est pas une maladie uniforme et nécessite des traitements différents adaptés à chaque cas. De plus, les tumeurs ne progressent pas nécessairement à un rythme constant. Les tumeurs indolentes (ou paresseuses) peuvent cesser de croître, croître plus lentement ou même décroître. Tout cela nous mène à un nouveau paradigme sur la complexité des cancers et leur traitement.
Les programmes de dépistage à la grandeur de la population se basent sur l’hypothèse selon laquelle le cancer progresse de manière régulière et graduelle jusqu’à un stade fatal s’il n’est pas traité. L’affirmation selon laquelle le dépistage précoce du cancer du sein sauve des vies est ainsi devenue problématique puisqu’elle mène à des interventions médicales pour les femmes dont les tumeurs seraient restées inoffensives, mais qui sont néanmoins victimes de la chirurgie, radiation, chimiothérapie et hormonothérapie non-nécessaires. De plus, ces femmes doivent subir les conséquences médicales, économiques et sociales du cancer du sein pour le reste de leur vie, alors que cela aurait pu être évité.
En 2012, le National Cancer Institute des États-Unis organisait un panel composé de spécialistes et de patients plaidant pour une plus grande investigation du phénomène de surdiagnostic du cancer. Le panel émit les consensus suivants concernant le surdiagnostic et le surtraitement[4]: Il est proposé que nous reconnaissions l’existence commune d’un surdiagnostic et que nous développions une nouvelle terminologie pour remplacer le mot « cancer » lorsqu’il s’agit de lésions à faible risque. Il est aussi suggéré de créer un registre des lésions à faible risque et d’adapter nos méthodes de dépistage afin d’éviter le dépistage inutile. Finalement, il est recommandé de trouver de nouvelles stratégies pour aborder la progression du cancer du sein et sa prévention.
À Action cancer du sein du Québec, nous comprenons très bien la peur que peuvent éprouver les femmes lorsque les mots « cancer du sein » sont prononcés. Mais nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que trop de femmes sont inutilement traitées pour des lésions qui n’auraient jamais causé problème.
Afin que les femmes comprennent mieux l’enjeu du surdiagnostic, nous devons changer le discours sur le cancer du sein. Il nous faut passer d’une approche alarmiste à une approche plus nuancée basée sur une compréhension de la complexité des cancers et la nécessité de traitements différenciés, qui dans certains cas peuvent se limiter à une surveillance attentive. Nous devons réexaminer les programmes de dépistage, ainsi que le traitement du CCIS et développer des traitements moins agressifs, ainsi que des registres pour mieux comprendre l’évolution de ces cas. Nous avons également besoin de coordonner nos agendas afin que la recherche fondamentale sur la biologie des tumeurs devienne une priorité.
De plus, toutes les femmes devraient être outillées et encouragées à adresser ces enjeux avec son ou sa docteur-e lorsqu’un diagnostic de cancer du sein tombe. Finalement, il est primordial que les femmes qui sont impliquées dans les mouvements pour la santé des femmes soient inclues dans ces discussions, afin que soient développés les outils nécessaires pour effectuer ces changements.
[1]Elmore, Joann G. et Ruth Etzioni (2015). Effect of Screening Mammography on Cancer Incidence and Mortality. Invited Commentary. JAMA Internal Medecine. Publié en ligne le 6 juillet 2015. Téléchargé de http://archinte.jamanetwork.com/le 7 juillet 2015.
[2]Esserman, Laura, J. et colleagues (2014). Addressing overdiagnosis and overtreatment in cancer : a prescription for change. Lancet Oncology. May 2014. 15(6) : e234-242.
[3]Elmore et Etzioni, op. cit.
[4]Esserman et colleagues. op.cit.
Une brochure réalisée par le centre de recherche indépendant, Cochrane, qui offre de l’information simple et nécessaire sur les bienfaits et les dommages du dépistage par mammographie. Considérant que l’information que les femmes reçoivent actuellement est souvent insuffisante et incomplète, cette brochure permet d’outiller les femmes dans leur prise de décision.