Par Maychai Brown

Voici une histoire à deux volets : une quête scientifique et un parcours personnel. C’est l’histoire du gène PALB2, une partie de la molécule d’ADN logée sur le chromosome 16, et celle d’une femme dont l’ADN contient une copie défectueuse de ce gène.

En 1984, la vie de Carolyn Badger, 39 ans, comportait une lourde charge de responsabilités pour une femme de son âge. En plus d’élever trois enfants – de 8, 10 et 12 ans – et d’enseigner au département d’Éducation à l’Université Concordia, elle s’occupait de sa mère atteinte d’un cancer du sein. À la suite d’une mammographie de routine, Carolyn a découvert qu’elle avait une tumeur à un sein. Les 18 mois qui suivirent furent très difficiles : chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie s’ajoutèrent au reste.

Quatre ans plus tard, Carolyn  découvrait qu’elle avait un cancer à l’autre sein. Trois femmes de sa famille – sa mère, sa tante maternelle et elle-même – étaient atteintes de la maladie. Carolyn se souvient de s‘être dit qu’il se passait quelque chose d’anormal.

L’année du deuxième diagnostic de Carolyn, la journaliste Sharon Batt, rédactrice en chef du magazine de l’Office de la protection du consommateur du Québec, Protégez-vous, apprenait qu’elle aussi était atteinte. La journaliste a commencé à remettre en question certaines des hypothèses sociétales au sujet de la maladie dans une série d’articles et de reportages radio qui ont retenu l’attention de Carolyn. Carolyn a écrit à Sharon et s’est ensuite rapidement jointe à un groupe de femmes qui se réunissaient chez elle pour discuter des changements que le milieu médical devait envisager dans sa façon de traiter cette maladie.

De ces réunions est né l’organisme Breast Cancer Action Montreal/Sensibilisation au cancer du sein de Montréal (BCAM). Le nom de Carolyn apparaît sur les lettres patentes originales de l’organisation. Son visage, ainsi que ceux de huit autres femmes, est représenté dans la peinture emblématique de Deena Dlusy Appel, One in Nine, qui illustre à la fois l’esprit du groupe de femmes qui se réunissaient chez Sharon Batt et leur détermination à attirer l’attention sur la terrible statistique qui veut qu’une femme sur neuf sera touchée. Carolyn apprendra plus tard pourquoi le risque était beaucoup plus élevé pour elle.

Ce ne fut pas la fin de l’histoire de cancer du sein de Carolyn. Au cours des 18 années suivantes, elle allait être atteinte d’un troisième cancer du sein primaire (non métastatique); sa mère allait perdre son combat, et sa tante serait de nouveau atteinte à deux reprises. Elle était convaincue que le nombre de cancers du sein dans sa famille immédiate n’était pas une coïncidence. Elle a commencé à se demander si cela pouvait être une maladie héréditaire.

Pendant ce temps, des chercheurs du monde entier se penchaient sur l’origine génétique du cancer du sein familial. Dans les années 1990, le développement de la cartographie génétique et d’autres techniques avait permis la découverte de deux gènes majeurs : le BRCA1 sur le chromosome 17 et le BRCA2 sur le chromosome 13. Ces deux gènes codent les protéines qui réparent les dommages de l’ADN qui se produisent souvent lors de la division cellulaire. Si les dommages ne sont pas réparés, la division cellulaire ne se déroule pas de façon ordonnée, et, souvent, une tumeur maligne se forme. Les mutations du gène BRCA2 ou du BRCA1 sont héréditaires. Pour les porteuses d’un gène BRCA1 anormal, le risque de développer un cancer du sein avant l’âge de 70 ans est de 50 à 70 %; ce risque est légèrement inférieur dans le cas d’un gène BRCA2 anormal : il est de 40 à 60 %.

Cette découverte aurait pu expliquer les cancers du sein dans la famille de Carolyn. Pour savoir si elle avait hérité d’un des gènes BRCA mutés, Carolyn a subi des tests génétiques. Cependant, les résultats n’ont révélé aucune anomalie.

Pendant ce temps, les chercheurs ont poursuivi leurs études sur la façon dont un gène BRCA2 sain répare l’ADN endommagé. En 2006, des biologistes moléculaires ont signalé la découverte d’un élément de l’énigme : une protéine qui travaille en partenariat avec le gène BRCA2. Ils ont appelé la protéine et son gène « PALB2 », qui signifie : « partenaire et localisateur de BRCA2 ». Les chercheurs ont émis l’hypothèse que les personnes qui ont hérité d’un gène PALB2 muté pourraient être vulnérables aux cancers du sein et à d’autres tumeurs.

Désireux de tester cette hypothèse, deux oncogénéticiens montréalais, les Drs Marc Tischkowitz et William Foulkes ont planifié des analyses pour voir si le gène PALB2 muté se retrouvait dans les familles ayant eu de multiples cancers du sein et ayant des gènes BRCA1/BRCA2 normaux. Le chirurgien de Carolyn a soumis son cas au Dr Foulkes, qui s’est intéressé à ses antécédents familiaux et leur a demandé, à elle et à tante, alors âgée de plus de 95 ans, si elles accepteraient de donner des échantillons de sang à des fins d’analyse d’ADN.

Carolyn et sa tante étaient toutes les deux enthousiastes à l’idée de participer à la recherche, mais le processus s’est avéré difficile. Le sang a été prélevé à un endroit pratique pour sa tante. Mais le messager qui devait assurer le transport des échantillons vers le laboratoire du DFoulkes ne s’est pas présenté. Après quelques appels téléphoniques frénétiques, Carolyn et sa tante ont dû apporter elles-mêmes les échantillons à l’entrée de l’Hôpital général de Montréal, où l’assistant du Dr Foulkes est rapidement venu les récupérer.

Ces échantillons ont fourni de précieux renseignements aux Drs Foulkes et Tischkowitz. À partir de l’analyse d’ADN recueilli auprès de 68 familles, ils n’ont trouvé que deux mutations PALB2, et l’une d’elles provenait de la famille de Carolyn. En fait, il s’agissait d’une mutation particulière, jamais encore observée. En 2007, le Dr Tischkowitz et ses collègues ont publié les résultats de leur recherche, y compris un diagramme montrant 28 membres de la famille de Carolyn appartenant à quatre générations 2.

Les données confirmèrent que les mutations héréditaires du gène PALB2 jouent un rôle dans la prédisposition familiale au cancer du sein. Bien qu’elle soit décédée avant la publication des résultats, la tante de Carolyn a vécu assez longtemps pour apprendre que son ADN contenait un gène PALB2 muté. Elle et Carolyn surent enfin pourquoi il y avait eu tant de cancers du sein dans leur famille. Carolyn se rappelle que sa tante était fière d’avoir contribué à une découverte qui allait aider d’autres personnes ayant des antécédents familiaux de cancer du sein.

 

Bien que les auteurs aient conclu qu’il était nécessaire d’étudier un beaucoup plus grand nombre de familles afin d’évaluer le risque de cancer du sein des porteuses de mutations du gène PALB2, il était évident, à partir des antécédents familiaux de Carolyn, que l’estimation précédente de l’augmentation du risque – de 2,3 fois – était trop faible.

La prochaine étape de la recherche consistait à établir avec précision le risque pour les personnes présentant une mutation du gène PALB2 afin de mettre au point des interventions médicales efficaces pour les hommes et les femmes en bonne santé, mais porteurs du gène, ainsi que pour ceux et celles qui ont développé la maladie.

Sept ans plus tard, en août 2014, conjointement avec 46 autres auteurs du Royaume-Uni, de la Finlande, de la Grèce, de l’Australie, de l’Italie, des États-Unis et du Canada, le DTischkowitz, qui travaillait alors à l’Université de Cambridge, et le Dr Foulkes ont publié “Breast Cancer Risk in Families with Mutations in PALB2”dans le New England Journal of Medicine. L’analyse des données touchant 364 membres de 154 familles qui présentaient 48 mutations différentes du gène PALB2 a permis aux chercheurs d’estimer à 35 % le risque cumulatif pour un porteur d’une mutation du gène PALB2 de développer un cancer du sein avant l’âge de 70 ans. Bien qu’il ne soit pas aussi élevé qu’il l’est pour les porteurs des mutations des gènes BRCA1 et BRCA2, le risque est significatif. Selon le Dr Tischkowitz, depuis que les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ont été découvertes au milieu des années 1990, aucun autre gène ayant une importance similaire n’a été trouvé, et le consensus dans la communauté scientifique est que s’il en existait d’autres, on les aurait déjà trouvés. Le PALB2 pourrait bien devenir le BRCA3 3.

Même s’ils ont réussi à déterminer plus précisément le risque, les auteurs ont tenu à rappeler qu’aucun ensemble unique d’estimations de la pénétrance ne s’applique à tous les porteurs de mutations du PALB2 4. Par exemple, chez les femmes qui étaient les seules porteuses connues dans leurs familles, le risque de développer un cancer du sein était plus faible que chez celles qui avaient deux parents au premier degré atteints de cancers du sein d’apparition précoce. Autre découverte : le risque augmentait de manière significative chez les porteuses de mutations nées après 1960.

Les chercheurs insistent sur le fait que, pour comprendre ces variations, il sera nécessaire d’étudier de plus grandes cohortes et de poursuivre les recherches sur le mode de vie, l’utilisation d’hormones, l’environnement et les autres mutations génétiques qui pourraient faire augmenter ou diminuer le risque. Dans une récente entrevue, le Dr Foulkes a mentionné d’autres facteurs de risque de cancer du sein connus qui pourraient également faire augmenter le risque pour les porteuses de mutations PALB2 : menstruations précoces, première grossesse à terme tardive, ménopause tardive et ne jamais avoir allaité. La réflexion de Carolyn sur les raisons pour lesquelles toutes les porteuses de mutations PALB2 ne développent pas un cancer du sein l’a amenée à penser que le stress, les substances toxiques et les perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement sont des facteurs.

Bien que la mère et la tante de Carolyn fussent décédées au moment de la publication de l’article en 2014, leurs histoires et celles de beaucoup d’autres ont aidé les chercheurs à estimer avec plus de précision la prédisposition à la maladie des porteuses d’une mutation du PALB2.

Carolyn dit maintenant si elle avait su qu’elle était porteuse d’une mutation du PALB2 et si elle avait connu le risque que cela comportait, elle aurait opté pour une mastectomie prophylactique bilatérale au lieu d’attendre 22 ans et deux autres cancers du sein avant d’opter pour la chirurgie.

Compte tenu de l’impact de ces découvertes scientifiques – tests génétiques et estimations de risque – sur la façon dont Carolyn a évalué sa situation, il est à souhaiter que les femmes et les hommes issus de familles ayant une incidence élevée de cancer du sein ont accès à des tests génétiques PALB2. Malheureusement, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux du Québec (INESSS) n’inclut pas encore les tests PALB2 dans sa liste de procédures couvertes par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), mais le test est disponible dans le secteur privé.


1. Xia, B. et al. “Control of BRCA2 cellular and clinical functions by a nuclear partner, PALB2”. Mol Cell. 22(6):719–729. 2006.05.22.(En anglais seulement)
2. Tischkowitz et al. “Analysis of PALB2/FANCN-associated breast cancer families”. PNAS. 104(16):6788-6793. 2007.04.11. (En anglais seulement)
3. Cité en ligne sur le site BioNews. Bryon-Dodd, K. “Cancer risk genes: could PALB2 be BRCA3?” 2014.08.11 (En anglais seulement)
4. Antoniou, A. C. et al. “Breast-cancer risk in families with mutations in PALB2”. NEJM. 371(6):497-500. 2014.08.07. (En anglais seulement)